L’Afpak: dossier géopolitique et stratégique

Artículo
Diploweb, 19.12.2016
Margaux Schmit, estudiante (Sciences Politiques à Paris)

Afpak: tel est le nom, presque l’acronyme, donné en 2008-2009 par l’administration américaine à la zone conflictuelle qui comprend l’Afghanistan et déborde sur le Pakistan.

Au fil du temps, cette région n’est pas devenue actrice de sa propre histoire, faute de pouvoir s’insérer dans le jeu interétatique qui domine la société internationale. Il s’agit plutôt d’un laboratoire des nouveaux conflits asymétriques, voire d’une boîte à chagrins pour la puissance américaine, un défi pour l’Occident et les valeurs dont il se réclame, un risque majeur de défaite militaire et politique.

Ce dossier explore la substance de l’Afpak: naissance du conflit (I), parties directes au conflit (II), les acteurs extérieurs (III), les perspectives de résolution (IV). Illustré de plusieurs encadrés et d’une carte sous deux formats: Afpak, une zone hostile à tout Etat constitué?

 

Chronologie

1973 : En Afghanistan, suite à un coup d’Etat, le roi Zaher Shah, au pouvoir depuis 1933, est renversé et la République d’Afghanistan est proclamée.

1977 : La Loya Jirga (grande assemblée) adopte une nouvelle Constitution et désigne le premier président de la République d’Afghanistan. Au Pakistan, le général Zia ul-Haq renverse Zulfiqar Ali Bhutto à la tête du pays depuis 1971, impose la loi martiale et introduit des réformes visant à islamiser le pays.

1978 : En Afghanistan, un coup d’Etat instaure une deuxième république d’inspiration communiste.

1979 : Invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques qui prennent le contrôle des institutions stratégiques à Kaboul et exécutent le Premier ministre. Durant l’occupation soviétique, 3 millions d’Afghans se réfugient au Pakistan. Ce dernier joue un rôle actif dans la guerre de résistance à l’occupation soviétique.

1989 : Les troupes soviétiques se retirent d’Afghanistan.

1989-1992 : Guerre civile afghane au cours de laquelle les seigneurs de guerre de l’ancienne coalition anticommuniste réussissent à faire tomber le gouvernement de Mohammed Najiboullah, au pouvoir depuis 1986.

1995 : Les taliban, «étudiants en religion» provenant des régions pashtounes (sud) qui contrôlent depuis novembre 1994 un tiers du pays, progressent vers Kaboul. Ils sont soutenus par le Pakistan.

Septembre 1996 : Les taliban et leur chef le mollah Omar s’emparent de Kaboul et imposent une version particulièrement rigoriste de la Charia (loi coranique).

24 novembre 2001 : Un millier de marines américains débarquent avec des blindés et de l’artillerie aux abords immédiats du fief taliban de Kandahar.

5 décembre 2001 : Les factions afghanes concluent à Bonn un accord sur la création d’un gouvernement intérimaire dirigé par le leader pachtoune Hamid Karzaï.

31 décembre 2001 : Accord à Kaboul sur le déploiement d’une force internationale (Force internationale d’assistance pour la sécurité en Afghanistan (ISAF) qui comptera 4500 hommes de 17 pays, sous commandement britannique.

11 août 2003 : L’OTAN prend le commandement de l’ISAF.

Octobre 2006 : La mission de l’OTAN s’étend désormais à l’ensemble du territoire. 12 000 soldats américains passent sous commandement de l’OTAN, ce qui porte les effectifs à environ 30 000 hommes, originaires de 37 pays.

Octobre 2011 : Alors que les relations se tendent avec le Pakistan à la suite d’une série d’attaques, l’Afghanistan signe un partenariat stratégique avec l’Inde.

31 décembre 2014 : Retrait officiel de l’armée française entre Afghanistan.

29 septembre 2014 Ashraf Ghani est élu président de la République islamique d’Afghanistan.

6 juillet 2016 : Barack Obama, président des Etats-Unis, annonce le maintien de 8 400 soldats en Afghanistan jusqu’en 2017.

 

I. La naissance du conflit

A. Des tensions anciennes

D’un côté, les conflits mondiaux du XXe siècle l’ignoraient, de l’autre, la guerre froide relativisait l’importance de la géographie au profit de l’ubiquité de la dissuasion nucléaire et d’une opposition idéologique sans frontières.

Sir Henry Mortimer Durand et l’émir Abdur Rahman Khan (1880-1901), le premier et très rude unificateur de l’Afghanistan, délimitent la frontière de l’Afghanistan, ou ligne Durand, compromis qui coupe en deux les territoires pachtounes des confins montagneux, séparant souvent les mêmes tribus. La ligne se prolonge jusqu’au Baloutchistan. L’accord est confirmé à plusieurs reprises par Kaboul jusqu’en 1930. En 1947, Kaboul déclare que la création du Pakistan invalide le Traité : le gouvernement afghan demande que les Pachtounes pakistanais (plus nombreux que les siens) soient appelés à un référendum sur l’indépendance de leur territoire, sous le nom de Pachtounistan.

B. La guerre d’Afghanistan (1979-1989)

En 1954, le Pakistan adhère à l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE), pacte anticommuniste lancé par les Américains en Asie. Les Pakistanais ne sont guère menacés, mais c’est l’occasion pour eux d’obtenir une aide militaire et économique pour contrer l’Inde et l’Afghanistan : ce dernier veut alors acheter des armes aux États-Unis, qui refusent par égard envers leur allié. Le Premier ministre Daoud déclenche alors l’engrenage qui conduira aux conflits d’après 1979 : il se tourne vers l’Union soviétique (URSS) dont il obtient une importante aide militaire et économique.

En 1979, la région appelée ultérieurement en 2008-2009 l’Afpak devient un abcès de fixation pour l’antagonisme américano-soviétique. Oussama Ben Laden apparaît pour la première fois et joue un rôle aux côtés de Abdallah Azzam, figure clef du jihad arabe en Afghanistan contre l’occupant soviétique. Lorsque la zone échappe à la logique d’opposition entre grandes puissances, celles-ci laissent la région en ruine, ouvrant ainsi « la boîte de Pandore » selon l’expression de Gilles Kepel . D’abord soutenu par les Américains, Ben Laden s’en éloigne quand l’Arabie Saoudite choisit les Etats-Unis pour combattre Saddam Hussein en 1991. Réfugié au Soudan, il s’installe en Afghanistan quand les taliban prennent le pouvoir en 1996.

Replié dans les montagnes de la province frontalière entre l’Afghanistan et le Pakistan, Ben Laden croit le moment et le lieu propices pour défier solennellement ses adversaires : les Etats-Unis d’Amérique et la famille Saoud. Il reprend la tradition des conquérants de l’Islam des premiers temps qui sommaient l’ennemi infidèle de se soumettre ou de se convertir avant l’ouverture des hostilités. C’est dans cet état d’esprit qu’il diffuse une «déclaration de jihad contre les Américains qui occupent le pays des deux saintes mosquées». Ce texte fondateur d’un jihad planétaire émane d’une «base (qâ’ida) sûre», nichée dans « ces sommets sur lesquels s’est écrasée la plus grande puissance militaire athée du monde ». En 1996, les taliban prennent Kaboul. Oussama Ben Laden, de retour, s’associe au mollah Omar et entraîne les taliban dans des attaques terroristes contre les États-Unis: ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya en 1998, navire de guerre Cole à Aden en 2000, avec pour point d’orgue le 11 septembre 2001.

Les taliban

Les taliban, mot qui signifie «étudiants» en arabe, sont un mouvement armé, créé au début des années 1990, composé de moudjahidins pachtounes démobilisés, de jeunes réfugiés afghans et de Pakistanais défavorisés endoctrinés dans un réseau d’écoles coraniques (madrasas) établies le long de la frontière afghane. Supposément financées par l’Arabie saoudite, ces écoles coraniques dispensent à leurs jeunes disciples un islam obscur et primaire, inspiré des principes les plus durs de la charia, loi canonique islamique. Également formés pour la guerre, ces jeunes «théologiens», dont la majorité sont d’origine ethnique pachtoune, ont rallié par milliers les troupes de Mollah Omar, leur chef, qu’ils ont alors élevé au rang de demi-dieu.

Les taliban du Pakistan et ceux de l’Afghanistan sont distincts. Autant l’armée pakistanaise a créé et soutient toujours les taliban afghans, autant, depuis le contrecoup de la guerre en Afghanistan, les taliban pakistanais, dès leur création, ont échappé au contrôle du Pakistan.

Jusqu’à la fin 2014, après la victoire du premier ministre Nawaz Sharif aux élections pakistanaises, celui-ci a commencé à négocier avec les taliban, poursuivant ce que le gouvernement du Parti du peuple pakistanais (PPP) avait commencé avant lui. Il a négocié avec les taliban pour mettre un terme à cette guerre longue, aux nombreuses victimes, coûteuse pour l’État, car se déroulant dans des zones tribales, à l’accès difficile et où les gens sont attachés à leur autonomie qui existait avant même la création du Pakistan.

Les taliban pakistanais veulent déstabiliser le Pakistan pour le contrôler. C’est pourquoi on assiste à une multiplication des attentats à Peshawar, Rawalpindi, à Lahore, Karachi, Islamabad. De même que les taliban afghans maintiennent la pression en multipliant les attentats en Afghanistan pendant les négociations avec Kaboul, les taliban pakistanais poursuivent leurs actions terroristes tout en négociant avec le gouvernement pakistanais.

Daech est une organisation terroriste cherchant à créer une formation politique qui comprendrait tous les pays et territoires musulmans. Les taliban au contraire ne tentent que « libérer l’Afghanistan de l’occupation internationale » ce qui sous-entend le départ immédiat des forces internationales du territoire afghan. Les deux groupes terroristes, Daech et les taliban se sont proclamés la guerre en janvier 2015 après la création d’une cellule de Daech dans le « Grand Khorasan », une région historique comprenant l’Afghanistan, le Pakistan, l’Iran et l’Asie centrale. C’était à ce moment-là que l’Etat islamique qui n’avait auparavant fait la guerre qu’en Syrie et en Irak, a franchi les frontières du monde arabe.

C. L’intervention post-11 Septembre 2001

Dès le 12 septembre 2001, le Conseil de Sécurité de l’ONU avait laissé carte blanche aux Etats-Unis avec la résolution 1368 pour intervenir contre al-Qaïda et les taliban. Le renversement de l’émirat islamique d’Afghanistan est atteint en quelques semaines. Les opérations, sous leadership américain, commencent le 7 octobre 2001. Le 13 novembre 2001, les forces afghanes de l’Alliance du Nord bénéficiant d’un soutien aérien occidental entrent dans Kaboul. Kandahar tombe peu après. La conférence de Bonn réunissant diverses factions anti-taliban sous l’égide de l’ONU en décembre 2001 pouvait dès lors jeter les bases de la transition afghane, autour du chef pachtoun Hamid Karzaï. Pour appuyer le gouvernement provisoire et assurer la sécurité dans Kaboul, une Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS – International Security Assistance Force, ISAF en français) est mise en place. Pourtant, si l’Administration de G.W. Bush a rapidement réagi à la dégradation de la situation en Irak en y consacrant des ressources financières et humaines considérables dès 2004, rien ne fut fait pour l’Afghanistan. La conséquence de l’absence d’une stratégie pour la reconstruction de l’Afghanistan fut de laisser un vide politique et sécuritaire permettant aux taliban et à leurs alliés de se regrouper. Dès 2002, le Baloutchistan, région frontalière entre l’Afghanistan et le Pakistan, devint un sanctuaire à partir duquel les taliban et les différents mouvements insurrectionnels pouvaient s’organiser et planifier des opérations contre le nouveau régime afghan et les forces étrangères qui le soutiennent.

Au moment de l’invasion américaine de l’Irak de 2003, la situation en Afghanistan commence à se détériorer, ce qui conduit les Etats-Unis à solliciter les concours d’abord rejetés de l’OTAN.

D. L’administration Obama

Sortir d’Afghanistan la tête haute, tel était le défi de l’administration de Barack Obama.

En 2011, le président Barack Obama annonçait le retrait définitif des troupes américaines d’Afghanistan pour 2014 : un calendrier risqué puisqu’il fait coïncider la transition sécuritaire avec celle, politique, imposée par la Constitution afghane, laquelle interdit un troisième mandat présidentiel à Karzaï.

Le 29 septembre 2014, le président Ghani prête serment, tandis qu’Abdullah, son adversaire lors du second tour, devient chief exécutive officer (CEO) : une fonction non constitutionnelle, sorte de Premier ministre que Ghani laisse entendre révocable. Ironie de l’histoire, le constitutionnaliste français Guy Carcassone avait recommandé une telle dualité à la tête de l’Etat lors de l’élaboration de la Loi fondamentale afghane votée en 2004, mais Karzaï avait imposé un régime strictement présidentiel, affaiblissant le Parlement et les partis pour mieux régner.

Ghani, dans son discours inaugural, avait annoncé la formation du gouvernement dans les 45 jours. Ce qui aurait permis au nouveau président et à son CEO d’être accompagnés par les ministres clés à la conférence de Londres, grand rendez-vous international consacré à l’Afghanistan le 4 décembre 2014. Il n’en fut rien. Fin décembre 2014, certains élus menacent même d’engager une procédure de limogeage du président. Le représentant civil de l’OTAN n’apprécie pas davantage et souligne trois conséquences néfastes :

-Aggravation de la situation sécuritaire ;

-Attentisme des investisseurs afghans ou étrangers ;

-Déception de la communauté internationale, dont le soutien est indispensable au succès de la triple transition en cours.

Finalement, le 12 janvier 2015, soit 105 jours après leur prise de fonction, Ghani et Abdullah dévoilent un gouvernement de 25 ministères, dont trois femmes, choisis pour moitié par chacune des deux têtes de l’exécutif. Au-delà d’un savant dosage ethnique, frappent le délicat équilibre entre vieux routiers de la politique et visages nouveaux, comme l’absence des grands chefs de guerre de jadis.

Par ailleurs, Ghani cherche à convaincre les autorités pakistanaises de changer de politique en raison du péril commun que posent l’extrémisme et le terrorisme. Pourtant, Ghani a pris les commandes de l’Afghanistan au moment où les relations bilatérales avec le Pakistan étaient au plus bas, Islamabad accusant de son côté Kaboul d’offrir des sanctuaires transfrontaliers aux taliban pakistanais. Si le concept d’ « Afpak » a pratiquement disparu des discours officiels américains, la réalité du continuum afghano-pakistanais est plus forte et complexe que jamais. En tentant de mobiliser l’Arabie saoudite et la Chine, Ghani tente de redéfinir les relations afghano-pakistanaises. Pour autant, Ghani reprend à son compte la politique définie par Karzaï, celle du dialogue et de la réintégration d’au moins une partie significative des taliban afghans.

Le terme «Afpak»

Richard Holbrooke invente en 2008 le terme « Afpak », pour Afghanistan et Pakistan, qu’il explicite en ces termes en février 2009, une fois nommé représentant spécial de Barack Obama pour cette zone: «Il y a là un théâtre de guerre, chevauchant une frontière mal définie, la ligne Durand. A l’ouest de cette frontière, l’OTAN et d’autres forces sont à même d’opérer. A l’est se trouve le territoire souverain du Pakistan. Mais c’est là que ce sont localisés le mouvement terroriste international al-Qaïda et d’autres organisations de même sorte».

Lorsqu’on parle d’Afpak, on souligne le caractère fondamentalement tribal, plus que national, du pays. Les deux conflits successifs, auxquels le pays a été confronté n’ont pas provoqué la cristallisation nationale, et la construction d’un Etat moderne n’a pas beaucoup progressé.

 

II. Les parties directes au conflit

Rapport de forces armées

140 000 : C’est le nombre de soldats de l’OTAN présents en Afghanistan en 2011, au plus fort de l’engagement de la coalition internationale. Début 2015, environ 12 500 militaires restent sur place avec pour objectif d’assister et de former l’armée afghane, dans le cadre de la mission « Soutien résolu ».

350 000 soldats afghans doivent désormais assurer seuls la sécurité face aux taliban.

3 485 soldats de l’OTAN sont morts dans le pays depuis 2001. Les forces de sécurité afghanes ont cependant payé le plus lourd tribut de cette opération puisque, au total, plus de 13 700 policiers et militaires locaux sont morts depuis le début de l’intervention occidentale selon le gouvernement afghan.

89 soldats français ont été tués et 700 blessés parmi les 70 000 militaires envoyés sur place par la France depuis 2001. Au plus fort de la mobilisation de l’Hexagone, en 2010, ils étaient 4 000 engagés sur le terrain. Après treize ans de présence, l’armée française a officiellement quitté l’Afghanistan le 31 décembre 2014. Depuis 2012, la France ne disposait cependant plus de forces de combat sur le sol afghan. Le contingent français qui a quitté le pays assurait la formation de certaines unités afghanes.
800 milliards d’euros, soit le coût de l’opération pour les Etats-Unis en 2014. Et leur engagement en Afghanistan s’alourdit puisque l’armée américaine a finalement maintenu un contingent de 9 800 hommes en 2015, dans le cadre de la mission « Soutien résolu ».

Nombre de civils tués et réfugiés

L’Afghanistan a enregistré au premier semestre 2016 « un nombre record de victimes civiles » depuis le début des comptages en 2009, selon la Mission d’assistance des Nations unies à ce pays (Unama). Dans un rapport publié le 25 juillet 2016, l’Unama précise que « le nombre total de victimes civiles enregistré par l’ONU entre le 1er janvier 2009 et le 30 juin 2016 atteint 63 934 » dont près de 23 000 morts et 41 000 blessés.

 

III. Les acteurs extérieurs

Poids de l’ONU et du Droit international

Le Conseil de Sécurité des Nations unies, par sa résolution 1401 du 28 mars 2002, a établi la Mission d’Assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), dirigée depuis le 17 janvier 2012 par l’ancien ministre des affaires étrangères de Slovaquie et ancien secrétaire général de l’OSCE, M. Jan Kubis.

Le CSNU a, par sa résolution 1917 du 22 mars 2010, recentré l’action de la MANUA sur les priorités politiques : mission de bons offices, suivi des élections et du processus de paix, promotion de la coopération régionale. Ces axes ont été confirmés par la résolution 2041 du 22 mars 2012 renouvelant pour un an le mandat de la MANUA.

Le rôle joué par l’Occident

Les Etats-Unis apprécieraient surtout que le Pakistan, puissance nucléaire fragile, sorte de l’ambiguïté et soutienne plus clairement leur lutte, y compris sur son territoire. L’exécution d’Oussama Ben-Laden au Pakistan, où il avait trouvé refuge sinon protection, n’a fait que raffermir les soupçons et accroître les demandes du côté américain, tandis que l’atteinte à la souveraineté territoriale pakistanaise irrite l’opinion, l’armée et les dirigeants locaux.

Le maintien de l’implication américaine est à la fois redouté et souhaité par les voisins – redouté, parce qu’il leur permet une installation à long terme dans la région, éventuellement à d’autres fins ; souhaité, parce qu’il éloigne d’eux des menaces terroristes dont ils pourraient faire les frais, sans parler des avantages économiques. Il signifie cependant l’échec d’une vision des relations internationales fondée sur la puissance militaire et la coercition armée, une sorte de politique bismarckienne à l’échelle de l’univers.

L’influence russe

Pour la Russie, le pire des scénarios serait que le retrait de l’ISAF débouche sur une guerre civile et une prise de pouvoir des taliban, un scénario familier pour l’Afghanistan depuis 30 ans. Une telle éventualité menacerait l’influence russe en Asie centrale, la stabilité de la région et pourrait accroître l’afflux d’héroïne vers la Russie.

Le Kremlin n’a pas ménagé ses efforts pour consolider ses relations avec le gouvernement Karzaï et soutient ainsi la candidature afghane à l’adhésion à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), afin notamment d’y limiter l’influence de la Chine. Pour consolider sa présence, Moscou peut compter sur des réseaux d’influence politiques ou économiques constitués lors de l’occupation soviétique ou lorsque la Russie soutenait l’Alliance du Nord à la fin des années 1990.

À long terme, la Russie ne dispose que de deux options pour maintenir sa présence en Afghanistan : « Essayer de reconstruire l’Alliance du Nord afin de contenir l’expansion des taliban (…) menant ainsi à la création d’une zone tampon dans le nord de l’Afghanistan » ou « soutenir les efforts du gouvernement afghan visant à obtenir un accord politique, qui peut mener à un retour des taliban, auquel cas la Russie devra trouver un accord temporaire avec ces derniers » . Bien que les relations russo-pakistanaises se soient réchauffées suite au rapprochement indo-américain, il est fort probable qu’après le départ de l’OTAN, la Russie continuera de soutenir, comme ce fut le cas par le passé et plus récemment avec l’Inde et l’Iran, un régime politique fortement dominé par les minorités tadjikes, ouzbèkes et turkmènes plutôt qu’un régime consacrant le retour des taliban, majoritairement pachtounes, et de leurs protecteurs pakistanais.

Les positionnements indiens et chinois

Le 4 octobre 2011, l’Inde et l’Afghanistan ont signé un accord de partenariat stratégique. Leur alliance vient clairement prendre en tenaille le Pakistan. Elle n’est pas qu’une coquille vide puisque l’Inde contribue depuis peu au budget de formation de l’ANA et se propose de former dans ses écoles d’officiers des cadets afghans. Le Pakistan y perd sa profondeur stratégique et y gagne la menace d’un deuxième front en cas d’affrontement avec l’Inde.

En plus d’autres donateurs afghans, l’Inde a joué un rôle clé dans la reconstruction et le développement en Afghanistan durant l’ère post-taliban en offrant une assistance au développement de 2 milliards de dollars destinée aux infrastructures, à l’éducation, la santé ainsi que l’agriculture. Toutefois, le Pakistan, de son côté dépendant de l’assistance américaine et chinoise n’a jamais été en mesure d’offrir de contributions considérable à son voisin afghan. Le Pakistan s’est néanmoins montré méfiant envers ce rôle actif de l’Inde et s’efforce de jouer son propre jeu. Effrayé à l’idée d’être encerclé par l’Inde sur ses arrières afghans, Islamabad s’efforce de contrôler les Taliban afghans ainsi que ses propres Taliban et agit en sous-main à Kaboul. Il le fait par l’intermédiaire de son service spécial l’Inter-Services Intelligence (ISI) qui, effectivement, pèse d’un grand poids, depuis les origines, dans la genèse de la crise afghane. Le Pakistan est, de toute façon, bien plus favorisé que l’Inde pour envisager une action en Asie centrale : son potentiel « sunnite » est réel dans ces pays d’islam fervent que sont l’Ouzbékistan, le Tadjikistan .

De son côté, la Chine, s’est notamment beaucoup engagée dans la mise en valeur des ressources naturelles ainsi que le désenclavement.

Avant de mettre un terme à son occupation de l’Afghanistan, l’Union soviétique avait découvert que le pays était riche en ressources naturelles. Parmi les régions richement pourvues en ressources, le Lôgar abrite l’un des plus grands gisements de cuivre inexploités du monde, à Mes Aynak. L’entreprise chinoise China Metallurgical Group Corp (MCC) contrôle la mine d’une valeur de trois milliards de dollars, dont elle a obtenu les droits d’exploitation en 2007. Cependant, pour des raisons de sécurité, les opérations n’ont pas encore commencé – et aussi parce que des archéologues ont découvert des vestiges datant de l’âge du bronze. Lorsque le président Ghani s’est rendu à Pékin en octobre 2014, le gouvernement chinois lui a demandé d’abaisser le taux de redevance de 19,5% autour de 10%, ce qui devrait représenter un manque à gagner pour le gouvernement afghan de l’ordre de 114 millions de dollars par an. Ces exigences étaient motivées par la frustration ressentie par les Chinois vis-à-vis du projet, et tout particulièrement envers le manque de sécurité.
Mais alors que le processus de paix en Afghanistan piétine, Pékin a déclaré le 20 avril 2016 vouloir renforcer sa coopération militaire avec Kaboul en faveur « du développement des renseignements antiterroristes, d’exercices conjoints, de formations du personnel et d’autres champs de coopération potentielle », sans pour autant s’engager à remplacer le « vide » laissé par les troupes de l’OTAN depuis fin 2014.
La Chine aimerait d’ailleurs impliquer le Pakistan dans ces développements, accusé de mener double-jeu avec les Taliban. Objectif pour Pékin : stabiliser les foyers du terrorisme islamiste en Asie centrale et en Asie du Sud afin d’assurer la stabilité de sa propre province du Xinjiang, dans l’Est chinois.

 

IV. Vers Une Résolution?

Un succès des taliban, militaire ou politique, ne constituerait ainsi qu’une victoire illusoire pour le Pakistan : la contestation afghane et pachtoune de la ligne Durand persistera. À terme, un succès des taliban pourrait même se transformer en revers pour Islamabad : à force d’entretenir la porosité de la ligne Durand comme condition de réussite de sa stratégie, le Pakistan a permis aux taliban – c’est-à-dire à des Afghans – de réinvestir les zones tribales pakistanaises et le Baloutchistan. C’est là le grand paradoxe de la stratégie pakistanaise: souhaitant protéger son intégrité territoriale et garantir la pérennité de sa frontière occidentale, le Pakistan a en fait participé à l’effacement symbolique et à l’affaiblissement de la ligne Durand, désormais plus contestée que jamais.

Côté afghan, la transition sécuritaire a été conduite avec détermination. La politique de négociation avec les taliban reste sous Ashraf Ghani une priorité soutenue par la communauté internationale. Pourtant, depuis octobre 2014, les taliban ont accentué leur pression sur le nouveau pouvoir dans leurs bastions du sud et de l’est mais aussi dans leurs provinces du nord. Le second volet de la stratégie sécuritaire est diplomatique: Ashraf Ghani a décidé de cultiver le voisin pakistanais afin qu’il fasse pression sur les taliban afghans qu’il héberge, Kaboul jouant à cet égard les cartes saoudienne et chinoise pour peser sur Islamabad. En visite en Inde en avril 2015, il a appelé Islamabad à autoriser le transit de fret entre l’Inde et l’Afghanistan, et, au-delà, l’Asie centrale. C’est également sur ce plan économique et commercial qu’on verra si cultiver les autorités pakistanaises permettra de changer leur paradigme stratégique au bénéfice de l’Afghanistan et de toute la région.

No hay comentarios

Agregar comentario