L’ancien ministre des affaires étrangères allemand Hans-Dietrich Genscher est mort

Opinión
Le Monde, 01.04.2016
Luc Rosenzweig, periodista

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Existe-t-il un secret de la longévité politique ? Ils sont bien peu nombreux, en tout cas, ceux qui peuvent se prévaloir, comme Hans-Dietrich Genscher, mort dans la nuit du 31 mars au 1er avril à l’âge de 89 ans, d’une présence aussi longue aux avant-postes du pouvoir dans une démocratie occidentale : vingt ans sans interruption au gouvernement, quinze ans à la tête du ministère des affaires étrangères ouest-allemand, ont fait de Genscher l’un de ces monstres sacrés dont la présence au plus haut niveau des affaires internationales était devenue une évidence. Pendant quinze ans, la diplomatie de la RFA a été dirigée de main de maître par un homme qui n’a jamais prétendu au tout premier rôle, mais qui a su à merveille tirer son épingle du jeu politique.

Son appartenance au petit parti libéral FDP, toujours menacé de disparition, mais toujours indispensable pour la constitution de coalitions de gouvernement (jusqu’en 2013), marquait les limites d’une ambition : le plus haut poste auquel il pouvait prétendre était celui de vice-chancelier, d’incontestable numéro deux de la hiérarchie gouvernementale, auquel il sut se maintenir sous deux chanceliers, Helmut Schmidt et Helmut Kohl.

C’est avec une énergie inépuisable qu’il travaillera à un seul objectif : le rapprochement entre l’Est et l’Ouest, et, par conséquent, des deux Allemagnes. Il fallait être aveugle, ou américain, pour s’étonner de l’opiniâtreté de cet homme qui a incarné pendant près de deux décennies l’Ostpolitk ouest-allemande. La biographie de Genscher ne pouvait que le conduire à consacrer toutes ses forces à surmonter la division du pays, conséquence de la défaite et de l’écroulement du nazisme.

Constance et opiniâtreté

C’est dans ce qui allait devenir l’autre Allemagne, la RDA, que Hans Dietrich Genscher vit le jour le 21 mars 1927, à Reideburg, près de Halle. Il avait 10 ans lorsque son père, syndic d’une coopérative agricole, mourut. L’homme qui compta alors pour lui fut son grand-père maternel, dont il se plaisait, devant ses interlocuteurs français, à souligner une francophonie issue de son temps de service militaire à Thionville, à l’époque où cette ville faisait partie du Reich allemand. Le soir, la famille se réunissait devant le grand poste de radio pourécouter Radio-Paris…. Elève du lycée Friedrich-Nietzsche de Halle, Hans-Dietrich Genscher allait subir le sort des adolescents de sa génération, ces Marie-Louise d’Hitler lancés imberbes dans la tourmente et la débâcle. Mobilisé dans la Wehrmacht en 1945 avant même d’avoir pu passer le baccalauréat, il rentre chez lui pour trouver son lycée en ruine. Il participe à sa reconstruction avant de passer un examen de rattrapage et commencer, en 1946, des études de droit à Halle.

La vie politique reprend dans cette partie de l’Allemagne occupée par les Soviétiques : les communistes, sous la direction de Walter Ulbricht, s’emparent peu à peu de tous les leviers du pouvoir. Genscher adhère alors au Parti libéral-démocrate, une formation politique autorisée dans le cadre du Front national pourrassembler, dans la version stalinienne du multipartisme, les membres des professions libérales et de la petite-bourgeoisie.

Mais l’illusion ne dura pas longtemps : en 1952, après avoir passé la première partie de son examen final de droit, il quittait la RDA pour terminer ses études à Hambourg. La même année, il s’installait comme avocat à Brême, et adhérait au FDP. Remarqué par l’un des fondateurs du parti, Thomas Dehler, alors qu’il était président des Jeunes Démocrates à Brême, il est appelé à Bonn en 1956 comme assistant du groupe parlementaire FDP. Il a à peine 20 ans.

En 1965, il est élu député au Bundestag et réussit à se faire un nom comme porte-parole de l’opposition dans une période où le FDP, fait exceptionnel, ne participait pas au gouvernement et devait, avec ses maigres troupes, porter seul la contestation au gouvernement de grande coalition CDU-SPD dirigé par Kurt Georg Kiesinger et Willy Brandt. Ce purgatoire n’allait pas durer bien longtemps. La victoire des sociaux-démocrates en 1969, qui étaient désormais en mesure degouverner avec l’appoint de libéraux déçus par la collaboration avec les chrétiens-démocrates, allait donner à Hans-Dietrich Genscher son premier portefeuille ministériel : celui de l’intérieur.

Il aurait souhaité celui des finances, mais les circonstances firent que cette fonction, occupée aux heures les plus sombres du terrorisme de la Fraction arméerouge, lui permit de faire reconnaître ses qualités de sang-froid. En mai 1974, il remplace Walter Scheel, élu président de la République, au poste de ministre des affaires étrangères et de vice-chancelier. Il devient également président du FDP en octobre de la même année : une fois de plus, Genscher arrivait au bon moment à un poste-clé. C’est l’époque de la grande politique à l’Est de Willy Brandt, poursuivie, après la chute de ce dernier, par Helmut Schmidt : reconnaissance mutuelle de la RDA et de la RFA, traité de 1974 avec la Pologne, rapprochement avec l’URSS de Brejnev. Genscher s’affirme alors comme un maître de la diplomatie du possible, s’engouffrant dans chaque brèche ouverte pour créer des faits accomplis, ficelant des accords avec la RDA, qui, petit à petit, adoucissent la division du pays.

Si les grandes percées étaient réalisées par les chanceliers qu’il servait, Brandt, Schmidt, puis Helmut Kohl, le travail de consolidation des positions conquises lui revenait. Qu’il n’ait jamais eu, comme l’a soutenu Helmut Schmidt, ces grandes visions qui font d’un homme politique ordinaire un homme d’Etat hors du commun ne doit cependant pas faire oublier une action caractérisée par la constance et l’opiniâtreté plutôt que par le brio et l’inspiration.

Se méfier des idéologies

Homme d’instinct, Hans-Dietrich Genscher a appris très jeune à se méfier des idéologies. C’est peut-être ce qui lui permit de survivre politiquement dans l’un des moments les plus sombres de sa carrière, lors du renversement d’alliance dont il fut l’un des artisans en 1982. L’opinion lui en voulait alors terriblement d’avoir contraint Helmut Schmidt à quitter le pouvoir. Contesté dans son propre parti, dont il dut abandonner la présidence à Martin Bangemann, puis au comte Lambsdorff, il remonta peu à peu le courant, s’appuyant sur les évolutions en cours en URSS et dans les pays de l’Est.

Avant tout le monde, il s’enthousiasma pour la glasnost et la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, s’attirant les foudres d’une administration américaine dont il était devenu la bête noire. Il fut le premier, en 1985, à demander que « l’on prenne Gorbatchev au mot » et que l’on aide le leader soviétique à réaliser ses objectifs. Sur ce point, Hans-Dietrich Genscher aura eu raison – ou tort – avant tout lemonde.

Malgré son retrait de la politique active en 1992, après vingt-trois années passées sur les bancs du gouvernement, Hans-Dietrich Genscher continuait de temps à autre à plaider en faveur de la construction européenne lorsqu’il estimait celle-ci menacée ou qu’il jugeait le débat allemand trop nationaliste. Signe de son influence : en 2013, son rôle d’intermédiaire fut essentiel dans la libération par Vladimir Poutine d’un de ses principaux opposants, Mikhaïl Khodorkovski.

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