Comment l’Etat islamique a reculé en Irak et en Syrie depuis 2014

Reportaje
Le Monde, 13.03.2017
Pierre Breteau y Madjid Zerrouky

Avec des effectifs désormais évalués à moins de 20 000 combattants par les renseignements américains, l’organisation Etat islamique (EI)(en foncé le territoire effectivement contrôlé, en clair les zones d'influence) continue de perdre du terrain en Syrie et en Irak et voit désormais son projet d’ancrage territorial de plus en plus menacé. Cette longue retraite profite essentiellement aux régimes de Badgad et de Damas mais aussi aux Kurdes de Syrie et d'Irak. Après avoir contrôlé près de 60 000 km2 en octobre 2014 – son plus haut niveau –, quatre mois après la proclamation du «califat», l'organisation a reculé à environ 23 000 km2 au début du mois de mars 2017, soit une baisse de 60 %.

En Syrie, les Forces démocratiques syriennes (FDS) – au sein desquelles les milices kurdes de l’YPG jouent un rôle prééminent – ont pris une option militaire dans la bataille qui s’annonce pour la reprise de Rakka, en coupant au début de mars la principale route qui relie la «capitale» de l’EI en Syrie de la ville de Deir ez-Zor (à 140 km au sud-est), l’autre fief des djihadistes dans le pays.

Appuyés par l’aviation et des forces spéciales russes, les forces du régime syrien ont, elles, repris la ville de Palmyre, le 2 mars. A l’est d’Alep, les forces de Damas avancent aussi. Après avoir de facto gelé l’offensive des groupes rebelle soutenus par l’armée turque dans le nord du pays en bloquant leur progression vers le Sud, l’armée syrienne et ses alliés ont atteint les rives du lac Assad, à une centaine de kilomètres de Rakka, et devraient également continuer de pousser en direction de la ville.

En Irak, si le groupe djihadiste continue de s’accrocher sur la rive ouest de Mossoul, l’issue de la bataille ne fait plus aucun doute. C’est à Mossoul qu’Abou Bakr Al-Baghdadi avait proclamé la création du «califat», se désignant comme calife. Après avoir repris la rive orientale de la deuxième ville du pays, le 24 janvier, les forces irakiennes contrôlaient près d’un tiers de la rive occidentale, le 13 mars.

Pour autant, l’EI garde des capacités militaires significatives dans la province syrienne de Homs et de Deir ez-Zor – qu’il continue de menacer – et plus généralement dans la vallée de l’Euphrate, à cheval entre la Syrie et l’Irak. C’est notamment cette région, où l’EI et avant lui les réseaux d’Al-Qaida sont implantés depuis le début des années 2000, qui pourrait lui servir de base de repli dans l’avenir. Un repli, que l’organisation djihadiste nomme «retour au désert». Un désert d’où il avait ressurgi à partir de 2012 après avoir été donné pour vaincu dans les années 2007-2008 en Irak.

Autre signe d’un changement de stratégie, le retour à des tactiques de guérilla et une résurgence de cellules terroristes sont détectés depuis quelques mois par les autorités irakiennes ailleurs en Irak. Dans la région de Bagdad et dans la province de Dyala, au nord-est de la capitale par exemple, où le nombre d’attentats attribués à l’EI est en hausse. Avec 120 victimes (hors forces de sécurité) d’actes de violences terroriste en février, la province de Bagdad reste la province irakienne la plus meurtrière après celle de Mossoul (451 morts) pour les civils.

 

Comment nous avons travaillé

Depuis le début de la guerre civile en Syrie en mars 2011, les forces qui s'opposent sur le terrain ont été régulièrement cartographiées, que ce soit par des organisations non gouvernementales, comme l'Institute for the Study of War (ISW), ou par des particuliers, comme le Néerlandais Thomas Van Linge, qui cartographient le conflit de façon bénévole. Si au début de la guerre ces cartes étaient essentiellement syriennes, depuis la proclamation du califat, en juin 2014, des cartes irakiennes ont également été produites.

Il a tout d'abord fallu effectuer un recensement des cartes existantes, afin de définir notre rythme. Certains produisent une carte par mois, d'autres sont plus précis et en publient une toutes les deux semaines. Pour monter la nôtre, nous avons choisi un rythme mensuel en partant de la carte la plus ancienne, en juin 2014.

 

Numériser des dizaines de cartes

Il a fallu télécharger les cartes une à une, puis les recoller (car Irak et Syrie sont présentés à part), numériser les zones dans un logiciel de dessin vectoriel, puis transformer ces zones vectorielles en fichiers d'informations géographiques exploitables dans un système d'information géographique (SIG). Ce type de logiciel permet de prendre en compte la composante spatiale et la géolocalisation, ce qui rend possible le calcul de surfaces et de distances, même si elles ne sont pas fiables au kilomètre près.

Ces cartes permettent d'appréhender l'évolution des forces en présence sur le terrain et des zones qu'elles contrôlent. Il faut cependant toujours garder à l'esprit la géographie des lieux: une grande partie des deux pays est désertique, et tenir une zone située dans le couloir urbain Damas-Homs-Alep est beaucoup plus important que de tenir une surface équivalente située en plein désert. Il faut plutôt appréhender ces cartes comme une «photographie» de la situation à un instant T.

No hay comentarios

Agregar comentario