Entre l’Iran et l’Arabie saoudite, une nécessaire désescalade

Editorial
Le Monde, 04.01.2016

Comme les somnambules de 1914, l’Arabie saoudite et l’Iran semblent avancer inexorablement vers l’abîme de la guerre. Chaque action de l’un appelle une réaction de l’autre, et nul n’envisage, pour le moment, de ne pas avoirle dernier mot dans l’escalade en cours. Ce qui se passe n’est que la suite logique de la montée des tensions de ces dernières années, qui ont culminé tout au long de 2015. Aujourd’hui, l’ensemble du Proche-Orient est traversé par l’antagonisme entre Riyad et Téhéran, que l’on résume hâtivement et faussement par un conflit confessionnel entre sunnites et chiites.

La dimension religieuse n’est évidement pas absente de la confrontation entre ces puissances théocratiques, qui, toutes deux, ont des prétentions sur l’islam mondial. L’Arabie saoudite parce qu’elle est la « protectrice » des deux sites les plus saints de l’islam, La Mecque et Médine, et donc du pèlerinage annuel qui draine près de deux millions de croyants. Et l’Iran parce que sa révolution islamique, la première et la seule à s’être imposée durablement au pouvoir, s’est accompagnée dès son début, en 1979, d’appels à un soulèvement mondial contre « l’impérialisme » des Etats-Unis, principal soutien du régime des Al-Saoud.

Plus encore que de religion, ce qui est en jeu ici, c’est un modèle politique − République contre monarchie absolue − et le choc de deux volontés de domination régionale, sur fond d’affrontement séculaire entre Arabes et Perses. Téhéran comme Riyad sont les champions de deux réseaux d’alliances, qui donnent à chaque conflit local − du Liban au Yémen, en passant par la Syrie − l’allure d’un affrontement bloc contre bloc.

L’Occident a son rôle à jouer

Si l’Arabie saoudite et l’Iran réagissent aussi violemment à ce que chaque pays perçoit comme les provocations de l’autre, c’est que chacune de ces deux puissances, déjà ébranlées par la spectaculaire baisse du prix du pétrole depuis 2014, se croit assiégée et menacée. Téhéran, qui estime avoir fait un effort sans précédent en renonçant à son programme nucléaire en juillet dernier, voit la menace de l’organisation Etat islamique, à l’ouest, et celle des talibans, à l’est, comme un piège sunnite prêt à se refermer sur lui. Riyad est convaincu que son rival, dont les alliés dominent déjà le Liban, la Syrie, l’Irak et la moitié du Yémen, est engagé dans une vaste entreprise d’affaiblissement des sunnites et d’encerclement du monde arabe. Le règlement du contentieux nucléaire iranien n’a fait qu’aviver les craintes des dirigeants saoudiens, persuadés que Téhéran, qui a conservé ses installations, reprendra sa marche à la bombe à la première occasion.

Dans une région surarmée et qui continue de fournir l’essentiel du pétrole mondial, un conflit Iran-Arabie saoudite serait la pire des choses. Pour l’éviter, l’Occident a son rôle à jouer. La France est une alliée privilégiée de l’Arabie saoudite, elle lui vend quantité d’armes et ne lui ménage pas son soutien diplomatique. Par ailleurs, elle s’apprête à accueillir le président iranien, le modéré Hassan Rohani, dont la visite a été reportée à cause des attentats du 13 novembre. Pour l’instant, la France s’est bornée à un communiqué laconique, publié dimanche et étrangement antidaté de samedi 2 janvier, « déplorant » les exécutions en Arabie saoudite, dont celle du dignitaire chiite Al-Nimr, pas même nommé. Il est temps pour Paris d’entreprendre une initiative de paix ou, du moins, de dialogue. La lutte contre l’organisation Etat islamique dépend d’une désescalade entre l’Iran et l’Arabie saoudite.

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