Attentat manqué à Villejuif : en France, pas de risque zéro pour l’antiterrorisme

Editorial
Le Monde, 03.08.2015

L’enquête que nous publions aujourd’hui le confirme : la lutte contre le terrorisme djihadiste est un combat complexe, incertain et dans lequel le risque zéro n’existe pas. Ainsi, les services de sécurité ne doivent qu’à un coup de chance inédit d’avoir évité, le 19 avril, un projet d’attentat contre une église de Villejuif, qui aurait pu faire des dizaines de morts.

Son principal suspect, Sid Ahmed Ghlam, a été victime de sa propre maladresse : il s’était tiré une balle dans le pied et avait appelé le SAMU. Pourtant, cet étudiant algérien de 24 ans avait été signalé aux services de sécurité dès le printemps 2014 pour ses velléités de départ en Syrie, et il faisait l’objet d’une fiche « S », par laquelle la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) désigne les individus potentiellement menaçants pour la sécurité nationale. Cela ne l’avait pas empêché, dans les mois précédant son projet d’attentat, d’effectuer deux voyages en Turquie, sans éveiller davantage les soupçons.

Le constat n’est pas nouveau. Depuis Mohamed Merah, auteur des tueries de Toulouse et Montauban en mars 2012, jusqu’à Sid Ahmed Ghlam ou Yassin Salhi (le principal suspect de la décapitation de son employeur et d’une tentative d’attaque kamikaze contre une entreprise de l’Isère le 26 juin), en passant évidemment par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, auteurs des attentats parisiens de janvier, tous les individus qui ont commis ou projeté des attentats en France étaient repérés et, peu ou prou, suivis par les services de renseignement. Cela ne les a ni dissuadés ni empêchés de passer à l’acte.

Les docteurs « y’a qu’à » y trouveront une nouvelle démonstration des faiblesses ou des ratés de l’antiterrorisme. Et de nouveaux arguments pour réclamer de muscler toujours davantage la lutte contre la menace djihadiste en France. La critique est aisée, mais peu réaliste.

Pour deux raisons. La première est que plusieurs milliers de personnes font déjà l’objet d’une fiche « S ». Durant les deux dernières années seulement, plus de 4 000 ont ainsi été signalées dans le cadre des filières syriennes. Parmi ces dernières, 1 030 ont effectivement combattu en Syrie, dont 300 sont rentrées en France. Potentiellement, elles représentent autant de menaces éventuelles. Faut-il toutes les mettre sur écoute ? Ce serait matériellement difficile, voire impossible, pour les 2 000 agents de la DGSI. Et cela déplacerait dangereusement le curseur entre libertés fondamentales et lutte contre le terrorisme.

Des cibles plus difficiles à évaluer

La seconde raison est tout aussi déterminante. Loi après loi, la lutte antiterroriste a beau se renforcer et ses moyens techniques et humains s’étoffer, ses cibles sont toujours plus fines et difficiles à évaluer. Contrairement à Mohamed Merah, aux frères Kouachi ou à Amedy Coulibaly, Sid Ahmed Ghlam à Villejuif ou Yassin Sahli dans l’Isère incarnent une menace plus diffuse et de basse intensité. L’un et l’autre avaient un casier judiciaire vierge, ni l’un ni l’autre ne s’était rendu dans des zones de combat (en Syrie, Irak ou Afghanistan), et ils n’avaient pas de liens connus avec des éléments radicaux.

Face à cette radicalité nihiliste et morbide de plus en plus disséminée, la question n’est donc pas de savoir si un prochain attentat aura lieu en France, mais quand. Le renforcement en cours des services de sécurité et de leur efficacité doit permettre de circonscrire la menace. Pas de la faire disparaître.

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